C’est l’agence internationale de l’énergie (AIE) qui nous l’apprend : si les gouvernements continuent la politique actuelle, la demande mondiale en énergie va augmenter de 55% entre 2005 et 2030, passant de 11,4 milliards à 17,5 milliards de Tonnes équivalent pétrole (Tep).
Comme si ces prévisions n’étaient pas suffisamment effrayantes, l’AIE prévoit que l’augmentation devrait surtout porter sur le charbon (80 % de celle-ci viendrait de Chine et d’Inde). Le charbon est le combustible qui émet le plus de CO2 par unité de chaleur produite.
Au total, 74% de l’augmentation viendrait des pays émergeants (dont 45% pour les seules Chine et Inde).
Tout cela n’est pas gratuit et, pour rencontrer cette demande, il faudra investir 22.000 milliards de dollars.
De leur côté, les pays de l’OPEP, qui savent que le pic pétrolier est proche et que beaucoup de pays cherchent à réduire leur dépendance au pétrole, se préparent néanmoins à investir 150 milliards de dollars sur les cinq prochaines années pour accroître leur production d’un peu plus de 5 millions de barils par jour.
Pendant ce temps, à Bali…
STOP !!!
Ce monde est-il devenu fou, schizophrène, ou existe-t-il vraiment deux mondes différents ?
Un monde qui continue, comme avant, sa boulimie énergétique en consommant toujours plus… Toujours plus de pétrole – de plus en plus difficile et polluant à exploiter –, de nucléaire – engloutissant de plus en plus d’argent pour ne représenter jamais que la portion congrue de nos besoins énergétiques –, de plus en plus de charbon – le plus dangereux à exploiter et le plus polluant.
Et un autre monde, qui participe au GIEC , aux Conférences des Nations Unies, qui est conscient de l’énorme enjeu que représente la dégradation du climat et de l’urgence de diminuer drastiquement nos rejets de gaz à effet de serre.
Mais voilà, il n’y a bien qu’un seul monde, pas d’univers parallèle.
Et ce monde qui résultera de l’affrontement entre, d’une part, ceux qui pensent qu’il est inconcevable de réorienter leur développement (et personne ne conteste leur droit de se développer), ceux qui ne tolèrent aucune contrainte, ceux qui disent que leur mode de vie n’est plus négociable (merci George Bush), et, d’autre part, ceux qui sont convaincus que la terre est un patrimoine commun dont les grands équilibres doivent être préservés sous peine de catastrophe, sera le monde dans lequel nous devrons vivre, nous et ceux qui nous succéderont.
Quelles sont donc, à l’aube de ce XXIème siècle, les contraintes qui pèsent sur l’avenir énergétique de la planète ?
Les contraintes physiques sont aujourd’hui évidentes. Curieusement, elles ne l’ont pas toujours été. Ainsi, un économiste du XIXème siècle , affirmait : « Les richesses naturelles sont inépuisables, car sans cela nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant pas être multipliées, ni épuisées, elles ne sont pas l’objet de la science économique. »
On peut craindre que certains s’inscrivent toujours dans cette logique paradoxale.
La réalité qui s’impose pourtant aujourd’hui est bien celle de l’épuisement inéluctable de tous les combustibles fossiles (y compris l’uranium).
On peut polémiquer sur la date exacte à laquelle devrait se produire le « pic pétrolier » . Les pays de l’OPEP et les USA le situent en 2030, les experts indépendants de l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil&Gas) en 2010, certains citent même 2006.
Ce qui est certain, c’est que chaque année, nous consommons davantage de pétrole que nous n’en découvrons. La conclusion s’impose.
Si le pic gazier est un peu plus éloigné, l’augmentation de la consommation (en lieu et place du pétrole) le rapproche inexorablement.
Les réserves de charbon sont bien plus importantes et devraient durer plusieurs siècles (sauf, bien sûr, si sa consommation augmente très vite). Hélas, devrait-on dire, puisque le charbon est le plus dangereux à exploiter et le plus polluant à l’usage.
Restent les combustibles nucléaires et, actuellement, essentiellement l’Uranium. Les réserves exploitables dans des conditions économiquement supportables sont de quelques décennies… au rythme actuel de consommation !
La contrainte physique est donc bien une réalité du XXIème siècle, qui devrait connaître concrètement la diminution de la disponibilité des combustibles fossiles alors qu’on nous annonce une augmentation rapide de la demande.
Mais, à cette contrainte physique, il faut jumeler la contrainte économique. Plus on est amenés à exploiter des ressources difficiles d’accès, plus leur prix augmente. L’exploitation pétrolière offshore est plus coûteuse que celle sur la terre ferme, celle des schistes bitumeux l’est plus encore (et bien plus polluante aussi). Plus on exploite de l’uranium à faible teneur en uranium fossile, plus son extraction et son enrichissement coûtent cher et consomment une quantité importante d’énergie. La spéculation sur la rareté de l’Uranium a d’ailleurs fait grimper de la livre d’oxyde d’Uranium de 9,60 $ à 92,55 $ en 5 ans (sept 2002 – sept 2007) .
Même si l’évolution des prix n’est pas linéaire, l’énergie coûtera, en toute logique, de plus en plus cher au cours de ce siècle. Nous en vivons les prémices aujourd’hui. Et, même si la force de l’euro vis-à-vis du dollar en atténue les effets, les entreprises comme les ménages en souffrent directement.
La contrainte environnementale est, évidemment, la plus prégnante, la plus vitale. D’une évidence pour les écologistes depuis des années, le réchauffement climatique apparaît aujourd’hui comme le défi primordial et urgent pour l’avenir proche.
Les travaux du GIEC sont totalement éclairants à cet égard et, si certains en contestent les résultats, c’est bien plus souvent pour prévoir des conséquences plus graves encore du réchauffement que le contraire.
Dès aujourd’hui, les observations faites sur tous les continents et sur la plupart des océans mettent en évidence que de nombreux systèmes naturels sont affectés par les changements climatiques régionaux, en particulier les accroissements de température . Le PNUD , dans son rapport annuel, nous avertit : ce ne sont pas ceux qui ont le plus contribué au problème, les pays riches, qui souffriront le plus à court terme. Ce sont les pays les plus pauvres qui sont les plus vulnérables. A titre d’exemple, le GIEC prévoit qu’en 2020 (c’est demain), « dans certains pays (africains), les récoltes de l’agriculture pluviale pourraient être réduites de 50% »
Face à ce constat, une autre contrainte dont il nous faut tenir compte est la contrainte culturelle. Si le message du réchauffement climatique est largement reçu, il s’agit néanmoins de passer de la prise de conscience aux actes. Nous avons notre mode de vie, en partie contraint, en partie choisi, en changer est extrêmement difficile. Nous pouvons y être aidés par son coût, et il faut bien reconnaître que c’est un des principaux incitants au changement.
L’équilibre est bien difficile à trouver pour les pouvoirs publics entre la volonté d’alléger la charge des coûts de l’énergie pour les plus défavorisés de notre société et la nécessité de ne pas encourager la consommation de cette même énergie. Les aides aux équipements permettant d’économiser l’énergie sont, à cet égard, la bonne réponse si on peut les rendre accessibles à tous, ce qui est tout un débat en soi. Les progrès technologiques sont également un facteur important mais il faut se défier de l’effet rebond (pour l’illustrer, il s’agit de l’attitude qui consisterait à ne plus fermer la lumière puisque ce sont de toute façon des lampes à basse consommation, ou à se déplacer plus en voiture puisqu’elle ne consomme « que » 4litres au 100km). Le comportement de chacun reste donc un facteur essentiel et, celui pour lequel l’influence de l’autorité publique est la plus limitée. Il faut donc informer, former, sensibiliser, aider et, parfois, sanctionner car, suivant l’adage classique : « On ne peut pas baser une politique sur la foi en la vertu de chacun. ».
La dimension géopolitique de la problématique énergie-climat est clairement remise en évidence ces dernières années et représente également une contrainte très importante. Les ressources fossiles ne sont pas réparties également à la surface de la planète. Nous savons que notre dépendance au pétrole a donné un pouvoir politique énorme aux pays de l’OPEP et, si certains de ces pays sont loin d’être des démocraties, nous sommes trop souvent complaisants à leur égard (et la Birmanie n’est pas le seul cas, même si c’est le plus scandaleux). Nous pouvions croire que les gisements de pétrole et de gaz de la mer du Nord allaient réduire notre dépendance énergétique, hélas, l’accroissement de notre consommation a rapidement tari ces gisements et c’est aujourd’hui vers la Russie que nous devons nous tourner.
Vladimir Poutine a bien compris le pouvoir que cela lui donnait et la perspective de cette nouvelle dépendance pour l’Europe ne peut qu’inquiéter.
De l’autre côté de l’Atlantique, c’est la même boulimie énergétique des USA qui explique les tentatives de déstabilisation du régime de Chavez au Venezuela, mais aussi, et c’est bien plus grave, la guerre en Irak. Si aujourd’hui certains sont prêts à faire la guerre pour l’énergie, qu’en sera-t-il demain ?
Le dernier combat géopolitique en date concerne l’Arctique et les gisements pétroliers présents sous la banquise que quelques Etats se disputaient sans égard pour cet écosystème fragile.
Il était plus que temps de tenter de tracer les pistes d’un avenir énergétique souhaitable et soutenable pour le siècle qui commence en tenant compte de toutes les contraintes mais aussi des possibles et des espoirs.
Si l’évolution technologique est importante, si elle est nécessaire, si la recherche doit être soutenue bien plus encore qu’actuellement, ce serait une erreur de croire, comme on l’a entendu trop longtemps de l’administration américaine, que le salut, tout le salut, viendra de la technologie.
En dehors même du problème de comportement évoqué plus haut, la technologie et son succès dépendent de choix. Choix économiques et politiques. Choix économiques d’investir dans un domaine ou l’autre, de développer une technologie ou de laisser le brevet dormir dans un tiroir. Choix politique de soutenir la recherche dans le domaine nucléaire plutôt que dans les énergies renouvelables… La technologie n’est pas neutre, elle peut ouvrir des possibles (les technologies carrefour comme disait Yvan Illich) ou en fermer (les technologies verrous).
Le retour de la fausse solution du nucléaire est un écueil de plus à surmonter pour les écologistes. Fausse solution parce que les problèmes des déchets et du démantèlement n’ont pas été résolus mais aussi parce que les risques de dissémination de l’arme nucléaire sont réels, l’Iran nous le rappelle tous les jours.
De plus, le nucléaire coûte cher, très cher depuis 50 ans et n’arrive aujourd’hui qu’à couvrir moins de 3% de la consommation finale de la planète. Même si la capacité du nucléaire doublait, on serait bien loin des nécessités de diminution du CO2 face à l’urgence du réchauffement climatique. Pour l’avenir, les projets de réacteurs EPR de Finlande et de Flamanville coûteront aussi beaucoup d’argent (on annonce 3 milliards d’euros, mais ce sera plus certainement 4 voire 4,5) pour une amélioration marginale du rendement.
Enfin, les réacteurs de 4ème génération, dont on nous rebat les oreilles sans savoir ce qu’ils seront vraiment, arriveront trop tard pour rencontrer l’urgence climatique ainsi que la fusion, qui arrivera (si elle arrive) à la fin du siècle, soit aussi beaucoup trop tard.
Refermons donc définitivement la porte à la coûteuse et dangereuse option nucléaire.
La technologie de l’hydrogène est prometteuse, mais il ne faut pas oublier que c’est une énergie secondaire qui doit d’abord être fabriquée.
Si on veut privilégier les techniques de production d’hydrogène qui n’émettent pas de CO2, par exemple l’électrolyse à partir d’énergie éolienne ou photovoltaïque, c’est techniquement possible, mais ça en ferait le KW/h le plus cher du monde. Il n’empêche, le rêve de Jeremy Rifkin pourrait bien se réaliser un jour et faire des pays pauvres… mais ensoleillés, nos fournisseurs d’énergie du futur.
Les deux grandes voies complémentaires pour notre avenir énergétique sont clairement la sobriété et les énergies renouvelables. Dans cet ordre là puisque, de toute façon, l’énergie de demain sera chère.
En tous cas, une application sérieuse du principe de précaution doit nous amener à abandonner les rêves d’une énergie abondante, non polluante et bon marché, que certains essayent encore de nous vendre. Nous devons prendre comme postulat que l’énergie sera précieuse et, par conséquent, à utiliser avec parcimonie et la meilleure efficacité possible.
Le potentiel des économies d’énergie est énorme et sa mise en œuvre nécessitera recherche, nouvelles technologies, investissements et représentera un formidable gisement d’emplois.
La tendance actuelle, qui voudrait que l’on pourra continuer le même mode de vie en substituant au pétrole des agrocarburants que les pays du Sud cultiveraient pour nous au détriment de leur souveraineté alimentaire et de leurs forêts (et donc de la biodiversité de la planète) est une illusion dangereuse et néocolonialiste. Non seulement, nous devons renoncer à nous conduire en prédateurs des pays pauvres mais nous devons tout faire pour transférer dans ces pays les meilleures technologies et y développer la faculté de les maîtriser.
De façon générale, si la biomasse sera dans l’avenir une des énergies renouvelables importantes, il ne faudra pas oublier que son usage doit respecter son rythme de renouvellement et ne pas faire concurrence aux autres usages, ni au maintien des forêts qui jouent un rôle essentiel dans l’équilibre climatique.
Les énergies renouvelables représentent vraiment un potentiel considérable. Ceux qui en doutent encore sont souvent aussi les mêmes qui soutiennent des investissements massifs dans les filières nucléaires, bien plus aléatoires et qui, jusqu’à ce jour, n’ont pas du tout rempli leurs promesses.
Beaucoup d’économistes convergent aujourd’hui pour reconnaître que le prix de la lutte contre le réchauffement climatique sera bien moins lourd que le prix de l’inaction et qu’il engendrera un énorme volume d’activité économique.
Il ne s’agit donc pas de craindre l’avenir mais de l’envisager avec confiance dans notre capacité d’adaptation et d’invention.
Tout cela ne sera possible que par une coopération internationale renforcée incluant les pays émergeants, les pays pauvres… et les Etats-Unis.
Certaines réunions internationales peuvent parfois ressembler à des « Grand Messes » mais il n’y a pas d’alternative. L’Europe joue aujourd’hui un rôle en pointe dans les conférences. On ne peut que s’en réjouir mais il faut être conscient que c’est un objectif de réduction de 80% à l’horizon 2050 qu’il faut envisager et que cela demande un effort de solidarité mondiale sans précédent historique. Ceux qui refuseraient de s’y engager serviraient d’alibi à ceux qui hésitent et porteraient une énorme responsabilité.
Et c’est d’abord nous, les riches d’aujourd’hui, qui devons assumer la responsabilité d’agir pour réduire la menace qui pèse surtout sur les pauvres du monde entier et sur les générations de demain.
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